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19 décembre 2013

La montagne de l'âme - Chapitre 2 - Gao Xingjian

 

Chapitre 2 - (je) - Retour à la vraie vie - Impuissance de la littérature à partager l'expérience individuelle

"Assis devant le feu, il boit de l'alcool mais, avant d'y goûter, il trempe un doigt dans son bol et l'agite au-dessus des braises qui se mettent à siffler en crachant une fumée bleue. A cet instant, je réalise que j'existe vraiment."

"Les flammes lèchent la marmite où mijote de la viande de mouton, faisant étinceler ses yeux : voilà une scène vraie."

"Quand toi, tu es à la recherche du chemin qui mène à Lingshan, moi, en me promenant le long du Yangzi, je recherche la vérité. Je viens de connaître un évènement grave.  .... La mort m'a fait une plaisanterie et je suis finalement parvenu à franchir l'obstacle qu'elle m'a tendu. En moi même, je me réjouis. La vie m'a redonné une immense fraïcheur. J'aurais dû depuis longtemps quitter mon environnement pollué et retourner dans la nature à la recherche d'une vie authentique.

Dans mon entourage, on m'enseignait que la vie était la source de la littérature et que la littérature devait être fidèle à la vie, fidèle à sa vérité. Et ma faute, c'était justement de m'être écarté de la vie. .... Le résultat est que je n'ai fait que m'engager sur une fausse route en déformant la réalité."

"Je ne sais si, à présent, je marche vraiment sur la bonne voie ; en tout cas je veux quitter le monde littéraire en pleine effervescence et m'enfuir de ma chambre toujours remplie de fumée de tabac. Les livres qui s'y entassent m'oppressent, au point de m'empêcher de respirer. Ils exposent toutes sortes de vérités, depuis la vérité historique jusqu'à la vérité du comportement humain, et je ne sais plus quelle utilité elles ont. Pourtant, elles m'entravent et je me débats dans leurs filets, vivant comme un insecte pris au piège d'une toile d'araignée."

.... (Le personnage raconte qu'il s'est cru condanné et que finalement il ne l'était pas. Ensuite il est question de l'histoire d'un chasseur qui est devenue une légende locale).

"Ce chasseur avait déjà été déifié. L'histoire et les rumeurs s'en mêlaient, une légende populaire était née. La vérité n'existe que dans l'expérience et encore seulement dans l'expérience de chacun, et même dans ce cas, dès qu'elle est rapportée, elle devient histoire. Il est impossible de démontrer la vérité des faits et il ne faut pas le faire. Laissons les habiles dialecticiens débattre sur la vérité de la vie. Ce qui est important, c'est la vie elle-même. Ce qui est réel, c'est que je suis assis à côté de ce feu, dans cette pièce noircie par la fumée de l'huile, que je vois ces flammes dansant dans ses yeux, ce qui est vrai, c'est moi-même, c'est la sensation fugitive que je viens d'éprouver, impossible à transmettre à autrui. Dehors, le brouillard est tombé, les montagnes sombres se sont estompées, le son de la rivière rapide résonne en toi et ça suffit."

 

Je trouve ce chapitre très beau. Le "Je" de "l'instant présent" (pleine conscience), qui seul compte et qui est intransmissible. J'aime aussi le retour au "tu" de la dernière phrase, le dialogue intérieur apaisant après la réflexion sur l'impossibilité de rendre la vérité dans le littérature. C'est ce que j'aime chez Gao Xingjian. Le spectacle qu'il nous montre d'un homme en proie à ses réflexions. Le voyage intérieur m'intéresse plus que le récit du voyage réel.

"Quand toi, tu es à la recherche du chemin qui mène à Lingshan, moi, en me promenant le long du Yangzi, je recherche la vérité."

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18 décembre 2013

La montagne de l'âme - Chapitre 1- Gao Xingjian

Chapitre 1 - (tu) - Retour vers le pays natal, à la recherche des souvenirs perdus. En quête de réconfort et pour y chercher quoi ?

"Tu es monté dans un autobus long courrier .... toi même, tu ne sais pas clairement pourquoi tu es venu ici. C'est par hasard dans le train que tu as entendu quelqu'un parler d'un lieu nommé Lingshan, la Montagne de l'Ame .... Au bout du pont se trouvent deux rangées de gargotes .... dans celle de droite, tu manges deux galettes au sésame et à l'oignon sortant de la poêle, chaudes et odorantes ; enfin, tu manges encore - où ? tu ne t'en souviens plus - des boulettes de riz à peine plus grosses que des perles, sucrées à souhait .... tu as vécu longtemps en ville et tu as besoin d'entretenir en toi une grande nostalgie du pays natal, tu voudrais qu'il te procure un peu de réconfort, pour que tu puisses retourner à l'époque de ton enfance et retrouver tes souvenirs perdus .... aujourd'hui, tu ne sais pas quelle impulsion t'animera demain, toi qui as bien appris tout ce qu'il te faut apprendre, que vas-tu encore rechercher ?"

"...." indique que les extraits ne sont pas contigus dans le livre

 

L'emploi du pronom "tu" est vraiment intéressant. Dans ce chapitre il permet de se projeter dans le souvenir ("où ? tu ne t'en souviens plus"). Ce n'est pas le récit d'une action en train de se passer, c'est le récit d'un flux de pensées mêlant souvenir récent et réflexion présente.

Le "tu" projete l'action sur le lecteur comme si c'était lui qui la vivait, et le narrateur se met à distance de lui-même. Il observe ses pensées, ses souvenirs, et il s'interroge.

Le lecteur est donc devant un sentiment paradoxal, celui de se sentir plus proche du personnage auquel il est identifié par le "tu", et celui de s'en sentir éloigné par la distance que prend le personnage par rapport à lui-même. On est en quelque sorte tiraillé entre ces différents niveaux selon que l'on prend le "tu" pour soi-même ou selon qu'on le prend pour le "je" du personnage, ou selon qu'on le prend pour le "tu" projeté du personnage.

En définitive on se trouve devant quelque chose d'extérieur à soi et en même temps d'intérieur, d'universel et en même temps de particulier, c'est très spécial.

17 décembre 2013

"L'art du roman" (2) - Gao Xingjian - Choix d'un mode narratif : emploi des pronoms "je", "tu" et "il" pour un même personnage

 

 

Comment atteindre l'objectif ? :

Adopter un mode narratif novateur en alternant l'usage des pronoms "je", "tu" et "il" pour désigner un même personnage.

 

Rappel :

"Il existe dans toutes les langues du monde, sans exception, trois pronoms fondamentaux, à savoir, "je", "tu" et "il". En d'autres termes, le narrateur se désigne impérativement par l'un de ces trois pronoms ... le roman est obligé de choisir entre "je", "tu" et "il", quitte à adopter le point de vue spécifique d'un personnage."

 

Gao Xingjian fait le choix d'utiliser alternativement les trois pronoms.

  • JE :

"La narration à la première personne "je" constitue un mode narratif courant. Un roman n'étant pas une autobiographie ... ce "je" du roman n'émane pas d'un auteur transposé, mais d'un personnage de fiction."

  • TU :
  1. "désigne à la fois le protagoniste et le(s) lecteurs. C'est un pouvoir merveilleux, que recèle ce pronom, de permettre aux lecteurs, au cours de leur lecture, de se mettre à la place des personnages, d'épouser leur angle perceptif et de s'identifier à eux."
  2. "La deuxième personne peut aussi renvoyer à la projection du narrateur, autrement dit à un interlocuteur engendré par l'extériorisation d'un narrateur versé dans son monologue intérieur."
  • IL :

"En décidant d'appeler "je" son narrateur, un roman a la liberté de transposer ensuite ce pronom en "il", sans cesser de désigner le même personnage, car ce "il" devient en l'occurence l'objet de l'observation ou la projection du "je". Dès lors, le "je" et le "il" renvoient au même personnage."

 

"Le narrateur peut donner un récit à instances narratives variables en faisant intervenir le "je", le "tu" et le "il" ... ces variations narratives favorisent l'expression de différences psychologiques. Car la conscience humaine s'actualise à travers le langage, sans lequel la connaissance de soi est inconcevable. C'est donc grâce aux trois pronoms, c'est à dire aux trois foyers focaux, que le moi trouve les moyens de s'affirmer."

"L'adoption d'un "je", sa projection dialogique en "tu", ainsi que sa forme extériorisée et altérisée en "il", confèrent au discours romanesque la possibilité de désigner un même personnage par trois pronoms différents, favorisant une nouvelle connaissance du moi que l'on peut appréhender sous tous ses angles."

"Ce qui me paraît intéressant, c'est que ce triple niveau cognitif ne fait défaut à aucune langue de l'humanité.Cela montre que les trois pronoms transcendent les différences ethniques et linguistiques pour refléter la structure profonde de la conscience humaine."

"L'alternance de ces pronoms permet d'introduire les mouvements de pensée des personnages, en entrecroisant réflexions, méditations, souvenirs, rêves, fantasmes. Enfin, différents styles se succèdent, à la faveur d'un dispositif flexible où le récit se mêle à l'essai et à la poésie".

 

"La montagne de l'âme" s'inscrit dans cette démarche expérimentale."

 

  • ELLE :

"L'unique pronom "elle" se charge de désigner invariablement divers personnages féminins, ce qui a pour visée de fournir une image complexe des femmes."

Gao Xingjian - "L'art du roman" dans "De la création" - Paris 30/08/2007

16 décembre 2013

"L'art du roman" (1) - Gao Xingjian - Se mettre en quête d'un discours narratif approprié

 

 

Je commence cette série d'articles par "L'art du roman", où Gao Xingjian expose sa réflexion sur l'écriture, parce que ce texte éclaire ses intentions dans "La montagne de l'âme".  Tout texte en italique dans ce qui suit est une citation. L'ordre des extraits, leur présentation en caractères gras, les titres et autres textes sont de mon fait. Quatre points indiquent que les extraits ne sont pas contigus dans le texte original.

Je prends la liberté de citer de larges extraits, mais dans le respect des droits de l'auteur, sachant que ce blog n'est pas ouvert aux moteurs de recherche et reste au vu de sa fréquentation très restreinte, un blog à usage privé. Je renvoie mes lecteurs au texte original complet, cette présentation étant le fruit d'une lecture et d'une compréhension personnelles.

 

Pour Gao Xingjian,

Quel est l'objectif à atteindre ? :

Avoir en tant qu'écrivain une démarche personnelle et originale, rénover mais ne pas détruire. Se mettre en quête d'un discours narratif approprié à la description des pensées du personnage.

 

"L'art du roman réside dans la quête d'un discours narratif approprié, qui relègue au second plan l'intrigue et les personnages au sens conventionnel ... Si la présence d'un personnage reste une nécessité, en revanche l'enjeu pour la création romanesque consiste dorénavant à déterminer comment on le met en récit."

 

Rappel historique :

  • Roman traditionnel :

"On considère en général l'intrigue et les personnages comme les éléments constitutifs d'un roman, et ils sont particulièrement indispensables aux romans traditionnels.

L'auteur s'incarne dans un narrateur omniscient. Tel un conteur, mais caché derrière le rideau, il relate avec assurance et de façon imperturbable le monde extérieur comme le for intérieur des personnages, dont rien ne lui échappe."

  • Roman moderne :

"Focalisés d'abord sur l'intrigue, les romans ont évolué, en plaçant progressivement la construction des personnages au centre de leurs préoccupations.

Dans les romans modernes, d'importants changements sont intervenus sur le plan du discours narratif .... Les romanciers modernes du 20ème siècle soulèvent pour la première fois la question de savoir qui parle et de façon corollaire, qui voit .... Les romanciers renoncent à l'omniscience du narrateur. Celui-ci s'identifie dès lors à un personnage de l'histoire, dont le regard engendre le récit .... L'auteur se fait de plus en plus discret, se gardant d'émettre tout jugement ou commentaire à la légère .... Il s'évertue à s'imprégner des sentiments d'un personnage et à épouser un angle narratif subjectif qui est le point de vue de ce personnage."

  • Roman postmoderne :

"L'émergence du Nouveau Roman français dans les années 50 a engendré des émules qui viennent à faire du roman une démonstration intellectuelle, en subvertissant l'histoire et les personnages, voire en préconisant la déconstruction des concepts de narrateur et de discours narratif. La création romanesque une fois confondue avec le jeu de l'esprit, le roman n'a pas tardé à tourner en texte conceptuel ... les tentatives répétées de subversion ont pour conséquence non pas nécessairement la rénovation, mais plutôt, au contraire, le risque de régression, voire de destruction de l'art et de la littérature. Dès lors que le roman est assimilé à un jeu intellectuel, il ouvre la porte à une écriture aléatoire, qui perd de sa valeur en termes de connaissance sociale et humaine."

 

Conclusion :

"Toute rénovation, en ce qui concerne l'art romanesque, doit respecter un garde-fou, à savoir le discours narratif .... Qu'il s'agisse d'un narrateur omniscient traditionnel ou d'un personnage-narrateur à focalisation, le statut du discours demeure une question primordiale puisqu'on doit résoudre le problème de savoir qui parle."

Dans le prochain article on verra comment Gao Xingjian choisit de répondre à cette question.

 Gao Xingjian - "L'art du roman" - Paris 30/08/2007

12 décembre 2013

Regarder longuement - Carnet de voyage "La montagne de l'âme" et "De la création"

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Gao Xingjian - encre

J'ai commencé à lire la Montagne de l'âme. Je lis rapidememt, parfois ma pensée s'égare et je ne suis pas attentive, distraite par d'autres réflexions. Comme on regarde par la fenêtre d'un train le paysage qui défile en pensant à autre chose.

Aujourd'hui ces sujets de réflexions ne m'encombrent plus. Et je veux prendre le temps de regarder longuement le paysage décrit par Gao Xingjian. Je retourne donc à la gare de départ, au début du livre.

Cette fois je veux regarder le paysage de tous mes yeux. Je veux même arrêter le train de temps en temps pour laisser le temps au paysage de me pénétrer. Comme on regarde une peinture. J'ai dans les mains un guide de voyage, "De la création". Et je pourrai regarder le paysage, puis ce qui est dit du paysage, puis à nouveau le paysage.

Il y aura un carnet de voyage qui sera les articles sur ce blog, au fur et à mesure du cheminement.

Je ne sais pas si j'écrirai mes propres mots, probablement pas. Ce serait dénaturer, amoindrir, déformer. Comme pour Van Gogh et Picasso, ce seront des citations, ici des extraits de deux livres qui s'éclairent l'un l'autre, en parallèle.

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11 décembre 2013

Gao Xingjian - De la création - La montagne de l'âme - Peintures à l'encre

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Gao Xingjian

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Né en 1940, Gao Xingjian est peintre, dramaturge, critique littéraire, metteur en scène, traducteur et romancier. Réfugié politique depuis les évènements de Tian'anmen, il vit à Paris. "La montagne de l'âme" est son premier roman. En 2000, il a reçu le prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son oeuvre.

Je suis en train de lire "La montagne de l'âme" en parallèle avec "De la création".

Le premier est un roman. "Après avoir tutoyé la mort, un homme quitte Pékin pour partir en quête de son Graal intérieur : la mystérieuse montagne de l'âme. Entre tradition millénaire et vestiges de la Révolution culturelle, il sillonne la Chine des années 80, égrenant récits fantastiques et légendes populaires au fil d'un voyage picaresque, poétique et profondément moderne." (4ème de couverture)

Le deuxième est un recueil d'une dizaine de textes sur l'art et la création , l'esthétique, l'inscription de l'artiste dans le monde. Gao Xingjian s'y exprime sur le rôle de l'écrivain, ses conceptions artistiques, que ce soit en peinture ou en cinéma, sa conception du théâtre, l'attitude de l'artiste par rapport à la société, qu'elle soit dominée par un régime totalitaire ou libéral. Ces textes dénoncent le politiquement correct et soulignent l'originalité de l'auteur qui persévère dans sa voie d'homme seul, indépendant, dont la raison d'être est avant tout la recherche du beau dans tous les domaines." (4ème de couverture)

C'est très intéressant de lire les deux en même temps parce que le deuxième livre parle du premier (entre autres). Gao Xingjian trouve les mots pour exprimer ce que je ressens à propos de la création et de l'art. Son ouvrage est très profond, très riche, je ferai peut-être une série d'articles sur son contenu, comme je l'ai fait pour Picasso et Van Gogh. Pour l'instant je poursuis ma lecture.

"Plasticien accompli, écrivain reconnu, Gao Xingjian construit depuis de longues années une oeuvre personnelle, très originale et profonde. S'il se sent avant tout artiste, créateur, résolumment tourné vers la pratique, il n'en a pas moins développé, au fil du temps et des textes, une réflexion théorique singulière, à rebours des modes et des canons de l'art contemporain." (4ème de couverture).

21 novembre 2013

La lettre qui allait changer le destin d'harold Fry

Il passa le kilomètre suivant à se demander s'il n'aurait pas dû accepter de l'aide. Plus il passerait de temps à marcher et moins il serait vraisemblable que Queenie reste en vie. Et pourtant, il était certain qu'elle l'attendait. S'il n'exécutait pas sa part du marché, même déraisonnable, il craignait de ne plus la revoir.

... Pourtant, quelque chose d'autre arriva, et ce fut l'un de ces instants dont on se rend compte au moment où ils se produisent qu'il va être important. Dans le courant de l'après-midi, la pluie cessa si brutalement qu'on aurait pu croire qu'il n'avait pas plu. À l'est, les nuages se déchirèrent et une ceinture de lumière d'argent apparut, très bas dans le ciel. Harold regarda la masse grise se scinder encore et encore, révélant de nouvelles couleurs : bleu, brun ambré, pêche, vert, pourpre. puis un rose atténué se diffusa dans le nuage, comme si les couleurs brillantes s'étaient mêlées et diluées avant de déteindre. Harold n'osait pas bouger. Il tenait à observer le moindre changement. Sur la campagne, la lumière était d'or ; sa peau même en était réchauffée. À ses pieds, la terre craquait et murmurait. Une odeur verte et pleine de promesses emplissait l'atmosphère. Une petite brume s'éleva, pareille à des volutes de fumée.

Harold était si fatigué qu'il avait peine à soulever ses pieds et, pourtant, il était empli d'un espoir d'une telle intensité qu'il en avait le vertige. Il savait que s'il continuait à regarder au delà de sa simple personne, il réussirait à atteindre Berwick.

Rachel Joyce - la lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry

18 novembre 2013

La solitude des nombres premiers

Les nombres premiers ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes. Ils occupent leur place dans la série infinie des nombres naturels, écrasés comme les autres entre deux semblables, mais à un pas de distance. Ce sont des nombres soupçonneux et solitaires, raison pour laquelle Mattia les trouvait merveilleux. Il lui arrivait de se dire qu'ils figuraient dans cette séquence par erreur, qu'ils y avaient été piégés telles des perles enfilées. Mais il songeait aussi que ces nombres auraient peut-être préféré être comme les autres, juste des nombres quelconques, et qu'ils n'en étaient pas capables. Cette seconde pensée l'effleurait surtout le soir, dans l'entrelacement chaotique d'images qui précède le sommeil, quand l'esprit est trop faible pour se raconter des mensonges.

A un cours de première année, Mattia avait appris que certains nombres premiers ont quelque chose de particulier. Les mathématiciens les appellent premiers jumeaux : ce sont des couples de nombres premiers voisins, ou plutôt presque voisins, car il y a toujours entre eux un nombre pair qui les empêche de se toucher vraiment. Des nombres tels que le 11 et le 13, tels que le 17 et le 19, le 41 et le 43. Si l'on a la patience de continuer, on découvre que ces couples se raréfient progressivement. On tombe sur des nombres premiers de plus en plus isolés, égarés dans cet espace silencieux et rythmé, constitué de seuls chiffres, et l'on a le pressentiment angoissant que les couples rencontrés jusqu'alors n'étaient qu'un fait accidentel, que leur véritable destin consiste à rester seuls. Mais au moment où l'on s'apprête à baisser les bras, découragé, on déniche deux autres jumeaux, serrés l'un contre l'autre. Les mathématiciens partagent la conviction que, pour autant qu'on puisse poursuivre cet exercice, on en trouvera toujours deux autres, même s'il est impossible de déterminer où jusqu'à ce qu'on les découvre.

Mattia pensait qu'Alice et lui étaient deux nombres premiers jumeaux, isolés et perdus, proches mais pas assez pour se frôler vraiment. Il ne lui avait jamais dit.

Paolo Giordano - La solitude des nombres premiers

17 novembre 2013

Le lièvre de Patagonie

Mara-ou-Lievre-de-Patagonie

Je venais de voir un lièvre patagon, animal magique, et la Patagonie tout entière me transperçait soudain le coeur de la certitude de notre commune présence.

Claude Lanzmann - le lièvre de Patagonie

Je n'ai pas lu le livre, juste cette phrase, que je trouve belle.

14 octobre 2013

Purge - Sofi Oksanen

C'est presque un conte. Une histoire. Extrêmement bien écrite, extrêmement bien racontée.

Encore la guerre. Et je ne l'ai pas fait exprès, mais bon pas de hasard, probablement. "Purge" est le vécu féminin de la guerre autant que "l'art français de la guerre" en est le vécu masculin. C'est dire comme il est dur.

Où il est montré que la guerre continue pour de nombreuses femmes, même par temps de paix.

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