feutres et pastels secs sur papier - 70 X 70 cm
Petite histoire et signification de ce dessin,
de l'idée première à la réalisation finale (complètement différente) :
Au départ j'ai envie de faire un dessin "illustrant" les témoignages lus dans "7 milliards" (voir articles précédents).
Ce qui m'a frappé à la lecture des témoignages, c'est la multiplicité des voix et le fait que l'ensemble forme un tout unique. C'est le fait que chaque être humain est à la fois différent et semblable aux autres. Que chaque expérience est unique mais que toutes les expériences conduisent finalement à suivre le même chemin. C'est cela que je veux rendre par un dessin.
Mon idée est de le faire d'un seul trait continu qui revient sur lui même, une boucle fermée, liant tous les témoignages en un seul. Avec des parties de texte (peu importe si elles sont illisibles), des parties figuratives (un objet, un visage...), le tout formant quelque chose d'abstrait.
Au départ je pense illustrer les témoignages qui m'ont touchée, même les évènements les plus tristes. D'ailleurs le premier auquel je pense est une anecdote racontée par un des survivants de l'holocauste.
C'est une histoire à la fois affreuse et positive. La gestapo était venue les arrêter, sa famille et lui qui était bébé. Le nazi les a laissés car la présence de l'enfant l'a touché. Il a dit "dommage que ce soit un enfant de juif" et le juif a répondu "en tout cas il aura la chance de ne pas grandir en étant le fils d'un assassin". Le gars a dit "nous reviendrons demain". Il avait des larmes dans les yeux. Cela leur a laissé le temps de s'enfuir.
Je commence à dessiner un visage au feutre noir d'un seul trait sur une fiche de bristol. Mon idée première est de faire une fiche par témoignage, et ensuite d'accoler les fiches.
Je commence mais je me suis heurte à deux difficultés :
- la continuité du trait est difficile à gérer sans devoir repasser dessus par endroits, ce que je ne veux pas.
- le format rectangulaire des fiches et le fait que ce soit des supports séparés me dérange, ça me paraît contradictoire avec l'idée d'unicité.
Je veux que tout soit lié. L'idée d'un cercle me vient à l'esprit. Pour avoir un dessin continu des témoignages, toujours dans l'idée d'un seul trait, je peux partir du centre d'un cercle dont j'aurai déterminé la taille au départ pour pouvoir encadrer mon dessin dans un cadre carré. Je pars sur le format 70 x 70 cm.
J'évolue dans la forme mais aussi sur le fond, la sélection des extraits de témoignages. Je veux tracer des mots et des phrases qui correspondent à mon vécu, que je puisse revendiquer comme étant les miennes, aussi. En ce moment je lis des ouvrages psy et philo sur le Bonheur, le dessin s'inscrit dans ce contexte, alors je veux écrire des choses plutôt positives.
Mon idée progresse encore. Je vais peut-être ne faire qu'écrire et non pas illustrer et ce sera alors non pas un cercle mais une spirale de paroles qui ira du centre vers l'extérieur. Toujours dans l'idée d'unicité et de continuité. J'utiliserai la calligraphie comme un dessin abstrait, peu importe si c'est illisible, ce qui m'intéresse c'est la ligne tracée par l'écriture, comme des petits motifs assemblés.
Je ne sais pas si je dois faire grandir les mots vers l'extérieur de la spirale. Peut-être pour donner une impression de perspective ? Mais pas forcément, cela ferait comme un tunnel. On verra.
Je regarde des images de spirales pour voir. Je lis ce que je trouve sur la signification symbolique de la spirale. Cela me conforte dans mon choix. Je comprends pourquoi cette forme s'imposait d'elle-même.
Je réfléchis à la couleur de mon trait. La couleur me semble mieux convenir que le noir. Je décide de choisir les couleurs au fur et à mesure, en fonction de l'extrait de témoignage que je recopierai. Je laisse à la providence le soin de l'alternance des tons clairs ou foncés, vifs ou sereins.
Je relis rapidement le livre, en surlignant les passages, les témoignages, qui trouvent le plus de résonnance en moi, sur le sens de la vie, l'évolution des rapports humains, le Bonheur, la Famille, la Liberté, etc
J'ai maintenant tout ce qu'il me faut pour exécuter mon dessin. Je ne pense plus qu'au plaisir de le faire. Contrairement aux dessins d'imagination que j'ai fait dernièrement, qui se construisaient pas à pas au fur et à mesure que je les faisais, celui-ci s'est formé complètement dans ma tête avant que je l'attaque. C'est comme s'il était déjà fini et que je n'avais plus qu'à lui donner une forme matérielle.
Mon but est de créer des choses nouvelles à partir de rien, et comme malheureusement je n'ai aucune imagination, je suis toujours en train de me poser des questions sur le processus créatif, le mien, celui des autres.
Le dessin étant abouti dans mon esprit je vais pouvoir le mener d'une seule traite, ce qui est en accord avec l'idée d'un trait unique. Je commence par le centre de la feuille et par les passages qui m'ont le plus fortement marquée. Les mots que j'aurais pu dire. Je les pense en les écrivant. Je dois faire tourner la feuille encore et encore au fur et à mesure que j'écris. Je pense aux mandalas, aux pratiques de méditation associées. Le cercle prend forme et la spirale prend tout son sens. Terre, galaxie, multiplicité des voix qui s'élèvent, unicité de l'Humain, expansion de l'univers, de la population, Progression et construction personnelle, infini. Le dessin rappelle les anneaux d'un tronc d'arbre.
Le texte commence au centre par la forme ronde de la lettre Q "Quand je montais sur la terrasse pour regarder le désert, j'avais l'impression d'une espèce de gouffre horizontal...". Effectivement la phrase prendra tout son sens au centre du dessin, mais je le réaliserai bien plus tard.
Je dessine les mots pendant quatre heures. Je choisis les couleurs en fonction de mon ressenti à la lecture d'une phrase, parfois d'un mot. Gris pour des souvenirs enfouis, bleu pour la sérénité, rouge pour la force, l'action, et ainsi de suite pour la colère, la tristesse, la symbiose avec la nature, l'amour... les couleurs s'imposent d'elles mêmes. Certaines sont fluorescentes.
Quand la spirale atteint non pas sa fin mais les bords de la feuille je colorie celle-ci avec des pastels secs, du blanc pour le centre, puis du jaune, de plus en plus foncé vers l'extérieur.
Le dessin est terminé. Je découvre l'apparence de ce qui n'était qu'une idée. Ce qui me plait c'est que tout a un sens. La forme, les phrases, les couleurs, la façon dont ça a été fait. Tout est symbolique. Tout est cohérent. Je me suis sentie bien en le faisant et je me sens bien en le regardant.
C'est ce que je recherche.
(le tableau final, cliquer pour agrandir)