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24 décembre 2013

La montagne de l'âme - Chapitre 10 - Coté blanc - Gao Xingjian

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Gao Xingjian

Le chapitre 10 est le plus beau depuis le début du livre. J'y consacrerai deux articles, intitulés "coté blanc" et "coté noir", vous verrez pourquoi.

 

Chapitre 10 : (je)

"Sur la mousse des troncs d'arbres, sur les rameaux des branches au-dessus de ma tête, sur les lichens qui pendent come de longues mèches de cheveux, dans les airs même, l'eau suinte partout, sans que l'on sache d'ou elle vient. De grosses gouttes, brillantes et scintillantes, coulent sur mon visage, une à une, et glissent le long de mon cou, glaciales. A chaque pas, je foule l'épaisse mousse veloutée et souple qui s'est accumulée, couche après couche. Elle vit en parasite sur les troncs des arbres gigantesques couchés au sol, mourant et se renouvellant sans cesse. (....)

On pénètre dans une sombre forêt de tilleuls et d'érables. Les pépiements incessants des mésanges dans les bosquets de catalpas effacent tout sentiment de solitude. (....)

Entre les gros troncs des sapins, quelques azalées de montagne de plus de quatre mètres de haut sont couvertes de fleurs rouges toutes fraîches. Les tiges penchées ont l'air de ne plus pouvoir supporter cette luxuriante beauté. Elles sèment leurs énormes pétales au pied de l'arbre, exposant sereinement la splendeur infinie de leur teinte. Cette merveille de la nature à l'état brut fait de nouveau naître en moi un indéfinissable regret. Mais ce regret ne concerne évidemment que ma personne, il n'a rien à voir avec la nature elle-même.

Partout, d'immenses arbres morts cassés à mi-hauteur par le vent et la neige. Je passe entre ces énormes troncs dressés qui me forcent au silence. Souffrant du désir de m'exprimer, devant cette solennité, je perds mes mots. (....)

Il me tire violemment pour m'obliger à m'accroupir, puis se relève aussitôt. Entre les troncs d'arbres, deux gros oiseaux gris-blanc, grêlés, aux pattes rouges, marchent à pas pressés dans la pente. j'avance doucement et aussitôt, le silence est rompu par le claquement des battements d'ailes.
- des faisans des neiges, dit-il.
En un instant, l'air semble s'être figé de nouveau ; le couple de faisans des neiges gris-blanc, grêlés, aux pattes rouges, pleins de vie, semble n'avoir jamais existé, telle une hallucination. Il n'y a que l'immense forêt immobile et sans fin, mon existence m'apparaît tellement éphémère qu'elle n'a plus de sens. (....)

Ici ni lichens, ni bosquets de bambous-flèches, ni buissons, les larges espaces entre les arbres rendent la forêt plus claire et la vue porte au loin. Et, au loin, une azalée d'une blancheur immaculée, élancée et pleine de grâce, provoque un irrépressible enthousiasme par son extraordinaire pureté. Elle grossit au fur et à mesure que j'approche. Elle porte de grosses touffes de fleurs aux pétales encore plus épais que ceux de l'azalée rouge que j'ai vue plus bas. Des pétales d'un blanc pur qui n'arrivent pas à se faner jonchent le sol au pied de l'arbre. Sa force vitale est immense, elle exprime un irrésistible désir de s'exposer, sans contrepartie, sans but, sans recourir au symbole ni à la métaphore, sans faire de rapprochement forcé ni d'association d'idées : c'est la beauté naturelle à l'état pur.

Blanches comme la neige, luisantes comme le jade, les azalées se succèdent de loin en loin, isolées, fondues dans la forêt de sapins élancés, tels d'inlassables oiseaux invisibles qui attirent toujours plus loin l'âme des hommes. Je respire profondément l'air pur de la forêt. Je suis essouflé, mais je ne dépense pas d'énergie. mes poumons semblent avoir été purifiés, l'air pénètre jusqu'à la plante de mes pieds. Mon corps et mon esprit sont entrés dans le grand cycle de la nature, je suis dans un état de sérénité que je n'avais jamais connu auparavant."

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