Drawing now 2014 - Luc Detot
Ce qui frappe quand on compare le salon du dessin "classique" et Drawing Now, le salon du dessin contemporain, c'est l'évolution du statut du dessin. C'est flagrant quand on regarde les formats. Le dessin est devenu une oeuvre à part entière et il s'affirme en tant que telle par ses dimensions. Une taille supérieure à 1 mètre devient monnaie courante.
Les dessins de Luc Detot en font partie. Même le matériau utilisé dans sa technique (poudre de marbre, mine de plomb et cire sur bois) prétend faire de l'oeuvre un monument. Je dis "prétend", parce que si l'on réduit le dessin à une taille "normale" a-t-il encore autant de force ? La taille devient partie intégrante du discours. Elle fait partie du vocabulaire plastique. La question est, peut-on donner de la puissance à tout en en augmentant les dimensions ? Donner de la puissance non. Donner un sens différent, oui. D'une certaine façon, ça marche. L'effet produit par un dessin monumental est sans contestation possible différent.
On peut dire que les portraits de Luc Detot hurlent "regarde moi" par leur taille imposante. Les personnages grimaçants de Luc Detot ferment les yeux et la bouche le plus fermement qu'ils peuvent, comme s'ils étaient environnés d'un gaz nocif. Est donc absent ce qui fait le charme d'un portrait, c'est à dire l'expression et l'ouverture ; le regard.
Le style d'écriture, le hachurage, le trait, se voit bien, parce qu'en très gros plan. Les tracés sont arrondis et assez légers, pas d'énergie mais une certaine application, le tout donne une sorte de mollesse et évoque une chair presque sans support osseux. On ne devine pas le crane, juste la superficie du visage.
Je ne peux pas dire que j'aime. D'ailleurs je ne le dis pour ainsi dire jamais. On ne demande pas à une oeuvre d'être aimable. Je lui demande de me toucher, de m'intéresser, de me surprendre, de m'intriguer, de me faire réfléchir, je lui demande de m'évoquer des choses, de provoquer mon admiration, de m'émerveiller ou de m'ouvrir à d'autres mondes.
Certaines oeuvres provoquent le malaise, d'autres sont carrément dérangeantes j'en ai même vu qui suscitaient un sentiment de dégout, celles là je les fuis. Le monde qui nous entoure fait suffisamment le travail, inutile d'en rajouter.
Qu'en est-il des dessins de Luc Detot ? Le sentiment est difficile à définir.
Par leur taille ils crient de les regarder, ils s'imposent comme un hurlement. Et ces visages n'ont rien à dire. Ils sont silencieux et fermés.
"Ecoute mon silence", "Regarde-moi il n'y a rien à voir", voilà ce que j'entends et voilà ce que je vois. On pourrait dire "tout ça pour ça !" mais à bien y réfléchir, la dimension était bien LE moyen de crier qu'on se tait et de montrer qu'on se cache.
Je parlais un peu plus haut du "monde qui fait le travail", ce n'est sûrement pas un hasard, et c'est sans aucun doute, je m'en rends compte en me relisant et en le regardant, quelque chose qui m'a été inspiré par ce visage, qui refuse de regarder. Ce n'est pas tant qu'il se tait et qu'il se cache, c'est surtout qu'il se protège de l'extérieur. Il ne laisse rien sortir de lui, mais il ne laisse rien entrer non plus.